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Arco Iris

Arco Iris

Une vue aérienne d’un paysage entaillé de la photographe Sophie Ristelhueber ressort des limbes de l’histoire. La trace d’une terre meurtrie par la guerre, celle du Koweit en 1991, devient la cicatrice de toutes les guerres : celles passées et celles à venir. Sarah del Pino ne convoque pas l’héritage d’une des pionnières du photo-journalisme dans son travail ; on est toutefois tenté de rapprocher l’investissement physique et les confrontations directes à des situations données des deux artistes. L’année de naissance de Sarah est concomitante à l’année de publication de Fait (1992) de Sophie Ristelhueber, une série de 71 images présentées sous la forme d’un livre d’artiste. Le continent sud-américain a été le lieu d’expédition intime pour Sarah del Pino en octobre 2016. Les impressions qui en résultent ont été traduites pour sa première exposition, rendue possible par le soutien de la ville de Saint-Etienne et celui de la résidence Moly-Sabata.

 

Tierradentro, site archéologique en Colombie libéré des Farc depuis 2016, s’est ancré dans son histoire comme un tatouage à l’adolescence. Il aura fallu cette expédition sous-terraine, au cœur des chambres funéraires datant de l’an 1000 apr. J-C pour que la question de l’au-delà et des croyances s’invitent dans son travail, dont les liens avec l’art minimal de la côte ouest et est des États-Unis sont légions. En abordant avec elle la généalogie formelle et expérientielle de son travail, Sarah dégaine vite les noms des chantres du mouvement « Art and Space » de la côte californienne : DeWain Valentine, John McCraken, Craig Kauffman. Ellsworth Kelly, du pôle artistique rival, a pourtant insufflé la forme pour Tieradentro, l’œuvre bicéphale plate qui se tient devant nous quand on pénètre dans l’exposition. Deux quadrilatères scintillants de mille feux arborent à leur centre une trace, une sorte de relief en trompe-l’œil obtenue par une torsion de la toile cirée utilisée par Sarah del pino pour la majorité des œuvres. Cette trace centrale est précisément celle qui nous replace dans l’endroit du paysage funéraire : celui entaillé de Sophie Ristelhueber et celui de Tierrandentro qui a donné son nom à l’œuvre et fournit la matrice expérientielle pour cette exposition. Tierrandentro (2017) est donc le premier pas d’une démarche qui tente de défier le ciel, ici posé à même le sol, en face-à-face avec la terre, élevée au mur. Convoquer l’au-delà et l’art pariétal sur fond de toile cirée et des résurgences de l’art minimal deviendrait-il un motif de l’histoire de l’art ? Au début de sa carrière, Ellsworth Kelly s’est intéressé aux icônes Byzantines et aux fresques des églises romanes. L’une des rares artistes femmes reconnues dans les années soixante, Judy Chicago, vient agrandir cette cascade de références. On est frappé par ses œuvres de début de sa carrière, dont Bigamy Hood (1965-2011) : un capot de voiture recouvert de parties génitales des deux sexes aux couleurs acidulées à l’esthétique sud-américaine et psychédélique. Sarah del Pino s’est débarrassée d’un support trop bavard d’une culture matérielle. Ici, pas de capot. Le flirt avec le tunning s’opère à l’arrière et à l’avant de la toile en Plexiglas® ou de la toile cirée. La peinture scintillante pour carrosserie appartient aux rêves des garçons et des filles en âge de conduire. En évacue-t-elle pour autant la question de genre ? Sarah s’avoue ravie d’avoir fait la connaissance d’une artiste femme et féministe active depuis les années 60.

 

Arco Iris (2017) signifie l’arc et l’iris ; la déesse de l’Antiquité Grecque est la déesse de l’arc-en-ciel. Pour les communautés précolombiennes, l’arc est présage de mort. On soigne alors la divinité principale honorée dans l’exposition sur une autre toile écran (Au seuil de l’hémisphère, 2017) malléable et réfléchissante à souhait pour que s’y reflète l’abysse de notre hyper-individualité.

 

 

  • Julia Marchand                         

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